EXPOSED II

 

Galerie Jérôme Pauchant
4 janvier – 7 janvier 2017

(La discussion est initiée depuis un moment. Ce qui précède n’est pas officiel. Seul ce qui suit, compte.)

Revenons au début. Tout cela pourrait être discontinu, n’avoir ni point de départ, ni finalité. – Oui ! Mais dans lequel il y aurait une légère variation. – pas de ponctuation, juste des variations ? – Oui ! Réfléchissons à l’espace dans sa globalité, posons ses limites, prenons un parti pris. – Ne rien faire par exemple ? – cela me conviendrait assez bien. Pas de borne, pas de limite, rien à regarder, si bien que tu ne sais pas si tu es au milieu ou à la fin.

Continuons.

 

Derrière la vitrine de la galerie Jérôme Pauchant c’est une symphonie qui se joue.

Cinq caissons lumineux s’allument de manière aléatoire, variant d’intensité et éprouvant chacun une source différente de lumières blanches. Leurs formes et leur disposition au sol rejouent visuellement un extrait d’une partition constructiviste de Earle Brown. Leurs vibrations viennent percuter au plafond une toile retournée. Invitant à voir ce qui se trouve derrière l’image, elle détourne la classique tradition des grands plafonds peints – ou, comme un pied de nez littéraire, des plafonds à caissons – pour ne devenir qu’un territoire, une zone circonscrite. La frontalité du tableau est déviée, tandis qu’un mur bleu-violet placé derrière les caissons et la toile est quant à lui dématérialisé. Sa transparence même redouble son étrange présence. Il dédouble les effets lumineux du dispositif dans une réinterprétation des sfumatos de Vermeer. Ainsi mises en écho les pièces se donnent à voir comme une seule œuvre, questionnant une forme d’art total fondée sur l’énergie de l’espace, et les problématiques intrinsèques de l’exposition. À l’ensemble s’intègrent en arrière-plan un mur jaune, préparation à l’exposition qui se profile, et le présentoir noir de la galerie, comme une évidence. Et l’ensemble se fait art.

Si toutes les lectures se brouillent, comment alors interpréter ce texte à l’allure beckettien qui accompagne la composition? « Ici ? Plus loin ? Je me demande surtout où placer la fin… »1. Et s’il n’y avait pas de fin ? S’il n’y avait pas même d’exposition ? Seulement une perpétuelle « continuation » sans valeur programmatique. Une abstraction visuelle et sémantique sans fonction ni définition. Une musique sans le son, une peinture sans sujet, un fond sans objet, une représentation sans acteur, sinon le spectateur lui-même… acteur, sinon le spectateur lui‐même…

Pour saluer cette nouvelle année à venir, quelle meilleure résolution que d’ouvrir les possibles ?

«Tout se passe comme si nous nous pressions pour régler au plus vite les affaires, et que, pendant ce temps, nous avions suspendu nos vie ; mais ce provisoirelà dure, et finit par se substituer à l’objectif toujours repoussé. Peutêtre pourrionsnous un jour apprendre à ralentir non pas nos gestes – nous aurions à renoncer à une part trop importante de nousmêmes – mais l’impression qu’ils laissent dans notre conscience, pour nous donner le temps de les habiter et de les savourer. C’est alors que la vie quotidienne cesserait de s’opposer aux œuvres d’art, aux œuvres de l’esprit, pour devenir, tout entière, aussi belle et riche de sens qu’une œuvre»2.

Si nous évoquions précédemment Vermeer, convoquons alors en guise de meilleurs vœux cette conclusion de l’Éloge du quotidien de Tzvetan Todorov, en vous invitant à partager un instant de convivialité en ce lieu et ce moment « spécifique » créé par Quentin Lefranc, où tout est matière à penser, à repenser, à questionner.

Et la symphonie devint symposium. Raphaëlle Romain Historienne et critique d’art

1 Quentin Lefranc, texte accompagnant l’événement Exposed II (Galerie Jérôme Pauchant, Paris, Special project to celebrate the New Year, 47 January 2017).

2 Tzvetan Todorov, Éloge du quotidien – Essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Paris : Éditions du Seuil, 1997 [1ère édition, Paris : Société nouvelle Adam Biro, 1993]. pp. 146-147.

 

Behind the Galerie Jérôme Pauchant’s window is performed a symphony.

Five light boxes are randomly switched on, with varied intensity, each bearing a different source of white lights. Their shape and lay out on the floor visually replay an excerpt of a constructivist partition of Earle Brown. Their vibrations hit a reversed canvas hung on the ceiling. Inviting to look at what stands at the back of the image, it diverts the classical tradition of the great painted ceilings, – or in banter of literature, of coffered ceilings – and thus just becomes a territory, a restricted area. The frontal nature of the canvas is diverted, while a blue purple wall is itself dematerialized, placed behind the light boxes and the canvas. Its transparency reinforces its strange presence. It amplifies the installation’s luminous effects in a re-interpretation of Vermeer’s sfumatos. In this echoing arrangement, the pieces are unveiled as one whole work, questioning a kind of total art founded on the space’s energy, and the inherent problems an exhibition can raise. A yellow wall appears in the background, part of the exhibition which will come next, as well as the gallery’s black display unit, adding up to the whole set as an evidence. Then everything becomes art.

If all readings become obscure, then how to interpret this Beckett-style text,1 which accompanies the show? “Here? Farther? I wonder above all where to place the end…” . What if there was no end? What is there was even no exhibition? Only a perpetual “continuation” with no programming authority. A visual and language abstraction, with no function and no definition. Some music with no sound, a painting with no subject, a background with no object, a play with no actor but the spectator himself…

To celebrate this upcoming year, what better resolution than to open up to all possibilities?

“Everything happens as if we were in a hurry to settle business as fast as possible, and as if in the meantime, our lives were suspended; but this temporary state lasts and ends up replacing the always-postponed goal. Perhaps we could learn one day not to slow down our gestures – we would have to give up on a much too important part of ourselves – but the feelings they leave into our conscience, to give us time to inhabit them and relish them. Only then would everyday life stop to confront works of art, of spirit, to become entirely as beautiful and meaningful as an artwork.”2

After previously mentioning Vermeer, let us evoke for the New Year’s greetings this conclusion from the “Eloge du Quotidien” by Tzvetan Todorov by inviting you to share a moment of conviviality here, for this specific moment created by Quentin Lefranc, where everything is food for thought: to think, think over and question.

Then the symphony became a symposium.

 

Délaisser les murs

Pas vraiment une exposition, en fait, plutôt un « projet spécial » précise le site de la galerie, une situation condensée dans le temps et  dans l’espace, puisque le jeune artiste n’y présente que trois œuvres – une pièce lumineuse au sol, un voile tombant du plafond jusqu’au sol et une toile accrochée, face contre le plafond. Ces trois pièces expriment avec concision les principes fondamentaux du travail de Quentin Lefranc : délaisser les murs pour travailler l’espace comme un volume, produire un champ de forces dynamique dont les œuvres sont les pôles actifs, jouer de contrepoints, mettre en tension les formes, les surfaces, les matériaux et – chose nouvelle – les lumières. Sans doute pourrait-on, en s’inspirant des Éléments d’Euclide, désigner Exposed II comme le recueil des « éléments » de Quentin Lefranc : y sont posés les axiomes à partir desquels il développe ses propositions artistiques. D’autres viendront, c’est certain, mais on perçoit déjà que loin de provoquer un éparpillement du travail, ils en renforceront la cohérence. À l’agressivité du manifeste, l’artiste a préféré la sobriété de la démonstration : c’est ce qui fait la force d’Exposed II.

Nina Leger pour délibéré.

 

Crédit photo : Molly SJ Lowe

Proposition graphique flyer : © Marine Jezequel.