Espacements

Maquette préparatoire (vue d’atelier, collection privée):
1- proposition à titre d’exemple.
2- proposition à titre d’exemple.
3- Confrontation avec Fly poursuit I, II, III, IV de Ronan Le Creurer.

Espacements est un ensemble indissociable de dix plans, jumelé deux par deux, ils viennent définir des angles plus ou moins ouverts. Ils sont là pour structurer/cloisonner. Parfois ouvert, parfois fermé, parfois transparent, parfois opaque. Chacun des plans pourrait aussi bien provenir d’une construction architecturale, ou de structures picturales. L’ensemble est un dispositif en écho à l’architecture moderne et cette tendance expansive.

La distinction intérieure/extérieure n’est plus clairement définie. C’est un cadre ouvert où la circulation est primordiale. C’est un moyen de redessiner la circulation d’un lieu, perturber le déplacement, définir des espaces. C’est une structure sans début ni fin, sans entrée ni sortie où chacun peut moduler, définir, découper la zone dans lequel il se développe. La proposition n’est jamais définitive. Mise à disposition, la juxtaposition des modules est à rejouer au fur et à mesure des présentations.

Afin de complexifier la proposition et de mettre en avant différentes articulations., je propose à plusieurs intervenants (curateurs) de prendre en charge l’installation. Espacements n’est pas une pièce interactive, mais un ensemble à activer. Chaque temps de présentation, un individu, qui peut être appelé commissaire, pourra se prendre au jeu et choisir de présenter le dispositif de la manière qui lui plaira. Ces choix peuvent être tout à fait subjectifs ou être une réponse à la précédente présentation. Ouvert aussi bien sur la question de son articulation que de ce qu’il contient, le dispositif pourra être augmenté ou non.

Espacements n’est pas juste un moyen de réfléchir au rapport de l’œuvre à l’espace. La multiplication des propositions est aussi un moyen de réfléchir cet ensemble à travers la question du temps. Aujourd’hui l’espace Commines se prête au jeu pour initier le dispositif : Nina Leger, Ronan Le Creurer, Raphaël Brunel, Mio Chareteau, sont prêts à l’activer.


Temps 1 : mise en récit par Nina Leger / 24-26 avril 2018

« Quentin Lefranc a conçu Espacements comme un champ de forces en expansion qui reconfigure, à chaque installation, les possibles de l’architecture en lui ôtant ses stabilités.
Je veux redoubler son geste dans l’ordre du récit et de la narration. Un texte sera lu, enregistré et diffusé par plusieurs enceintes réparties dans l’espace ; un récit énigmatique et spatial circulera entre les cinq panneaux de Quentin Lefranc ; une histoire pareille à un fil d’Ariane factice qui n’indiquerait jamais de sortie, mais conduirait le visiteur à revenir inlassablement sur ses pas.»

Voix : Thomas Bouyou, Denis Leger-Milhau, Emmanuelle Wion.
Son : Malo Thouément, Liza Lamy.

Temps 2 : confrontation avec les Fly Poursuit de Ronan Le Creurer / 10-12 juillet 2018

« Dans une pièce close, un homme, architecte de profession attend, avec pour seul compagnie une mouche brune-noire.

Les deux prisonniers n’ont pour seul point commun que d’éprouver l’enfermement, de scruter l’espace de cette pièce à la recherche d’une ouverture.

L’architecte immobile, transi par l’absence de perspective scrute le vide de la pièce et, la mouche elle s’active sans raison apparente, parcourt la salle de long en large en volant. Elle va d’un coin à un autre, définissant un espace dans l’espace, semblant se cogner ici et là contre rien, contourner une absence d’obstacle revenant sur ses pas au milieu de nulle part pour repartir de plus belle.

Après des jours d’attente, l’architecte, résigné à n’avoir pour seul unique horizon la ligne sombre de la plainte du mur opposé se met à considérer le parcours de la mouche avec plus d’attention, commence à entrevoir dans ce chaos de trajectoires des lignes se dessiner, ces lignes tracent des allées, des contreforts, des parapets, des terrasses. Le tout tordant les principes constructifs qu’il connaît, faisant fi de l’apesanteur, des règles de portées, des arcs-boutants et autres techniques de franchissement du vide.

Mémorisant toutes les chorégraphies de sa compagne Musca Domestica, il s’esquissait au fur et à mesure dans son esprit les plans d’une cité entière flottante au-dessus de lui».

Les quatre Fly Pursuit ont été dès le début pensées dans une relation à l’espace construit en s’emparant de poutres de faitage comme celles qui supportent la toiture du CAC des Capucins d’Embrun où elles furent réalisées pour l’exposition Le Pas de L’Embusqué (septembre 2016).

Ces poutres faitières modifiées créent une légère perturbation optique pour le spectateur qui les considère en ce déplaçant autour, elles sont difficiles à appréhender dans l’espace. Les rac- courcis de perspective et leur “peau” brûlée confondent les angles et l’allongement de la sculp- ture dans le lointain, ce qui produit une “expérience” de l’espace. Une sculpture qui semble se mouvoir de concert avec le spectateur qui tourne autour.

L’installation des Fly Pursuit en regard des Espacements de Quentin Lefranc permettent de créer comme proposition un partitionnement de l’espace par une circulation choisie et des transparences accidentelles.

Les cloisons orthogonales dirigent une circulation et proposent quelques points de vues choisie. J’envisage toujours une exposition comme un espace à parcourir dont certaines positions non-révélées sont favorisées pour le visiteur.

Temps 3: proposition sonore curatée par Raphaël Brunel / programmation en 2019

« Le dispositif modulaire conçu par Quentin Lefranc n’est pas sans convoquer l’idée de partition – une partition souple et ouverte mais établie sur une contrainte initiale – et son titre, Espacements, rappelle l’intervalle qui caractérise en musique l’écart entre deux notes, qu’il soit harmonique ou mélodique selon que celles-ci sont jouées simultanément ou succes- sivement. En éprouvant ses possibles configurations, il s’agirait donc de dessiner un espace d’interprétation, à mi-chemin entre celui de la répétition et celui de la représentation, d’inviter un compositeur ou des musiciens à investir et habiter ces intervalles par le biais d’une intervention sonore, live ou diffusée, qui puisse résonner avec les caractéristiques structurelles et protocolaires imaginées par Quentin Lefranc. »

Temps 4 : performance de Mio Chareteau / programmation en 2019

Enfant, j’allais souvent passer mes étés chez ma tante à Ogikubo (quartier de Tokyo). Je me rappelle du rituel matinal qui consistait à ouvrir les shoji, (parois dont le matériau principal est le papier) et les amado (volets en bois coulissants). La lumière du jour entrait alors graduellement dans la pièce. La superposition des parois créait différents degrés d’opacité, et la journée commençait réellement lorsque tous les panneaux étaient écartés. Le shoji, singulier objet architectural est un symbole de la cohabitation entre tradition et modernité. Cher à Jun’ichiro Tanizaki qui en fait la louange dans son récit L’éloge de l’ombre, il étonne aujourd’hui encore par son aspect pratique et par la friabilité de son potentiel isolant. Si il divise bien les espaces, il est en partie perméable aux sons et à la lumière. Une particularité que l’on retrouve dans des réalisations architecturales japonaises à la pointe de l’actualité, comme les maisons de l’architecte Sou Fujimoto*, dans lesquelles la notion d’ouverture et de transparence l’emporte sur celle de cloisonnement. Dans Espacements, Mio Chareteau et son collectif Radial s’emparent des panneaux mobiles de Quentin Lefranc pour en faire l’objet d’une performance. Derrière chaque panneau se trouve un performeur, qui déplace son module selon une partition orchestrée de manière mathématique. La pièce joue entre transparence et opacité tout enquestionnant la présence et l’invisibilité des performeurs.

*Références:
– Sou Fujimoto, House NA, 2011
– Jun’ichiro Tanizaki, In’ei raisan (L’éloge de l’ombre), 1933
– « When he slid the shoji window open, the rays of sunlight, piercing in iridescence through swirls
of dust to strike in a triangle, illuminated a layer of white dust and reddened the brown tatami floor. »
Sato Haruo, Den’en no yûutsu (Triste campagne, ou La rose malade),1919

L’ensemble des propositions sera documenté en vue d’une publication par Michèle Didier. 

Un remerciement particulier à l’espace Commines, Mio Chareteau, Ronan Le Creurer, Raphaël Brunel, Nina Leger, Marine Jezequel, Michèle Didier et les différents interlocuteurs qui on permit la réalisation de ce projet.