Notes
“Je vais d’un bout à l’autre de l’espace, le traverse de long en large, prends la tangente, fais demi-tour, provoque un pas de côté. Dans l’alternance d’appuis et d’élans, le lieu se révèle pas à pas. J’accélère, je contourne, j’emprunte des raccourcis qui m’égarent, active une disposition du corps et de l’esprit. La conscience est en mouvement. J’investis les recoins, multiplie les points de vue, mets en éveil les sens qui favorisent l’expérimentation et me confronte à ce qui est là.
Être là — être en chemin, ce n’est pas juste être un observateur, ce n’est pas subir ce qui advient. À chaque mouvement se joue une présence active, on réfléchit à la tournure de la prochaine enjambée, puis de la suivante. Le corps s’engage dans une mutuelle lecture et écriture du territoire, donne un sens à chacune des spécificités de l’environnement, ses frontières, ses porosités, pour mieux l’occuper. La condition humaine est corporelle, et la marchabilité des espaces est modalité pour occuper le lieu, réfléchir à son intèrieurité, et à ce qui peut s’y dérouler, à l’habiter.
Laissé vide, l’espace devient passage, on y rentre, on le parcourt, on en sort. De cette manière, les espaces se succèdent, s’imbriquent, se chevauchent, s’informent mutuellement. Nous sommes perpétuellement dans, un entre, entre deux choses, deux lieux, deux vides, dans un intervalle entre le passé et ce qui advient, entre être ici et être là. À l’intérieur, le regard se porte sur un au-delà. Il cherche le lointain où s’égarer, fuir — par la fenêtre!
La fenêtre donne une localité, un contexte et oriente l’espace. Elle marque la frontière entre le dedans et le dehors. L’ouverture amorce l’expérience, offre la possibilité d’un parcours, délimite un cadre, et nous informe sur comment nous nous inscrivons au monde.
Marcher possède une autre particularité, celle de la continuité qu’elle suppose. Si chaque pas est une mesure, marcher c’est mesurer à l’infini. C’est affronter les espaces et le temps qui défile. C’est relier les points d’un parcours en passant par des lieux et des expériences différents. La climatique de la marche nous positionne entre ancrage au sol et élévation, entre terre et ciel. Le mouvement répété implique à la fois un recentrement sur soi et un en avant. Ainsi, en cheminant, on devient acteur de son monde. Le corps et la pensée sont mis en mouvement dans le paysage. Si toute marche ne révèle pas, ne relève pas constamment une pensée, indéniablement, toute pensée n’invite pas à se mettre en marche. Il y a cependant entre les deux termes, les deux actions, une proximité extrême qui invite à s’interroger sur notre être là et le faire lieu.”
Mai 2023.